S'interdire les mots, c'est s'interdire de penser. Et donc de sanctionner.
En France de nos jours il faut ne pas nommer les choses ou les mal nommer, quitte à « ajouter aux malheurs du Monde » comme l’aurait dit Confucius. La phrase fut reprise par bien des philosophes, dont Chomsky, qui poursuivait « …ne pas les nommer c’est nier notre humanité ».
Quand dans les médias, les conférences de rédaction, réunions de cabinet ministériel, etc. - on parle de ‘sauvageons’ ou ‘d’incivilités’, on nomme mal. On déforme. On minimise… On évoque ou se limite à suggérer ce que chacun sait et dont on veut parler. Préciser plus avant devient alors aussi interdit que contester la Shoah ou la rotondité de la Terre, car le faire jetterait l’opprobre sur les innocents qui partagent l’origine, la religion ou les mœurs qui caractérisent ces sauvageons. Dès lors pour le public le regard se voile bien vite devant ces ‘incivilités’, l’indignation est brève. Passé 48h l’excuse se fait jour ! La compréhension s’impose à tous. Même aux juges. Surtout aux juges ! Et l’on préfère oublier. La consigne muette née dans les services de communication des ministères invente un nouveau mot. Un nouveau regard. Il semble venu de plus haut ou plus global, il est réputé plus intelligent que nous. Sitôt repris par tous les médias, on parlera de quartiers, de jeunes, de défavorisés, de déséquilibrés… Cet indéfini englobe des jeunes en échec mais méritant, des quartiers pauvres mais calmes, des défavorisés envers qui chacun s’apitoie, sans que la sanction ne se puisse. Qui pourrait condamner un indéfini ? Qui oserait boucler un quartier, hormis Volkoff dans son roman ?
Cela, c'est mal nommer.
Pourtant des faits plus graves adviennent parfois sous forme terroriste : On lance une bombe, on bute un flic... La technique du nouveau mot est aussi tôt activée : On parlera de ‘séparatisme’. On ‘déclare la guerre’. À quoi ? Chacun le sait, mais nul ne le nomme…. Parler d’une méthode, une simple forme d’action ne peut définir une lutte ; car lutter, sauf contre les éléments, est savoir quel adversaire on doit affronter. Faire la guerre au séparatisme c’est parler d’un but en omettant de dire qui sont ceux qui le veulent atteindre. Et la guerre, comme la coercition ou les sanctions, se font contre des hommes.
Ceci, c'est ne pas nommer.
Bien sûr comme le dit naïvement Dupont-Moretti : « ll y a un véritable constat, qui est la perte des repères. Quand j’étais gamin, il y a longtemps, (…) on se levait quand l’instituteur rentrait en classe, on laissait sa place aux dames, on n’insultait pas le policier, le chauffeur de bus ou le juge. Il y a une perte des repères, une perte des valeurs » Hélas ! Offrir ou proposer des repères comme une éducation ou un cadeau civilisateur ne se peut plus contre ceux qui, ayant d’autres valeurs, ont pris les armes. Là le fond de la faiblesse de l’état. F.X. Bellamy le dit fort bien : « Le plus grave des dangers pour nous n’est sans doute pas dans les menaces qu’il nous faut affronter... Ce qui nous inquiète aujourd’hui… ce n’est pas d’abord les défis qui nous attendent, mais notre incapacité à y répondre, à décider, à agir. Le plus grave des dangers est là, dans notre aveuglement volontaire, dans ce déni de réalité longtemps entretenu, dans la passivité de notre démocratie, dans le relativisme d’une société qui, en prônant la tolérance, semble prête à s’habituer à toutes les censures. »
Aussi revient-il à tous d’oser reprendre la parole et dénoncer la régression sémantique des leaders politiques ou de nous-mêmes. Dénoncer aussi l’analyse si caduque des choses par Dupont-Moretti. Un ministre dont on attend qu’il énonce ses valeurs.
Une société qui par l’usage des mots s’interdit la sanction ne protège pas les victimes et laisse libre-cours aux barbares. Ce n’est plus une société, c’est une barbarie.